Le buzz vient-il de vous ?


Avez-vous déjà réfléchi à la manière dont vous sélectionnez les informations sur le net ? Selon vous, qu’est-ce qui vous pousse à lire un article plutôt qu’un autre ? Avez-vous tendance à lire ce qui confirme vos savoirs, vos croyances ? Réfléchissez un peu à la manière dont se créé le buzz : qui sont les "acteurs" de ces propagations ? Nous vous dirons simplement que c’est "vous" !

Quand on surfe sur le net, on a tendance à prendre l'information qui va confirmer nos croyances. Et souvent, les personnes qui partagent les mêmes idées que nous vont sélectionner le même type d'informations. C'est comme ça que se créent les communautés isolées appelées tantôt "chambre d'écho", tantôt "groupe homophile". 

Pour l’illustrer, nous allons simplement vous dire « 11 septembre », certains d’entre vous vont associer à cette date des théories du  complot, d’autres vont penser au terrorisme pur et dur. L’idée, c’est que derrière une simple information va se construire des groupes de personnes partageant les mêmes croyances. De plus, l’information qui sera confirmée sera acceptée même si elle contient des affirmations fausses.

Autre illustration : rappelez-vous de la campagne présidentielle de Barack Obama. Nombreux étaient les personnes qui avaient cru aux ragots à propos de la nationalité et des convictions religieuses du futur président des Etats-Unis. Selon ces dires, Obama serait kényan et musulman. Son équipe avait alors répondu à ces fausses affirmations en créant un site web affichant les documents prouvant sa citoyenneté américaine et sa foi chrétienne.

Des études récentes ont montré que le comportement et les préférences des individus pouvaient s’expliquer par leurs traits de personnalité. Un travail a été réalisé afin d’étudier l’interaction entre la personnalité des utilisateurs d’internet et leur comportement en ligne. Mais la relation entre la formation de groupes et les traits de personnalité était encore floue. Et c’est à partir de ce constat qu’a été conçue une étude assez remarquable dans laquelle les auteurs ont classé les personnalités des utilisateurs en fonction des commentaires qu’ils faisaient sur Facebook. Se basant sur un modèle connu en psychologie, le Big Five, les scientifiques décrivent les personnalités selon 5 dimensions : l’extraversion, la stabilité émotionnelle, l’agrément, la consciensiosité et l’ouverture. On dira qu’une personne est extravertie si elle est plutôt attirée par les choses qui sont externes à elle. Une personne stable émotionnellement serait capable de rester calme face à la pression ou au stress. Ceux qui ont une faible stabilité émotionnelle seraient plus susceptibles d’interpréter les situations ordinaires comme menaçantes. L’uniformité est le fait d’être compatissant et coopératif plutôt qu’antagoniste envers les autres. La consciensiosité est la tendance à faire preuve d’autodiscipline et à agir consciencieusement. Les individus consciencieux agissent loyalement, sont prévoyants et soignés avec un penchant pour le conformisme. Ce qui les opposent aux personnes ayant un faible niveau de consciensiosité dont le comportement peut être antisocial, manquant de considération pour les autres. Et l’ouverture est liée à la curiosité et à une appréciation générale des idées inhabituelles, de l’expérience nouvelle. Pour faire l’analyse des traits de personnalité, les auteurs se sont donc penchés sur les commentaires des utilisateurs publiés sur les pages Facebook des Etats-Unis selon qu’ils soutiennent un point de vue scientifique vs. un point de vue conspirationniste : le premier a pour but le partage des connaissances scientifiques alors que le second a tendance à diffuser des récits de mythe, de canulars, de fausses nouvelles et d’informations controversées. Dans ce travail, les auteurs ont effectué une analyse permettant la comparaison des traits de personnalité  des utilisateurs engagés soit dans les récits scientifiques, soit dans les récits conspirationnistes. Ils ont donc mesuré les cinq dimensions de personnalité des utilisateurs qui ont fait des commentaires sur 5 ans. Ensuite, ils ont analysé les liens entre ces différents traits pour rechercher les modèles de personnalité prédominants dans les communautés dits « chambres d’écho ». 

Pour les auteurs, cette étude permet de contribuer au développement de stratégies visant à diminuer la propagation de la désinformation en ligne. Pour les auteurs, un « like » sur Facebook est synonyme de feedback positif sur le post alors qu’un commentaire est la manière dont les utilisateurs expriment leur personnalité et où les débats collectifs prennent forme. Afin d’estimer le profil de personnalité qui caractérise le mieux chaque utilisateur, les auteurs s’appuient sur une approche de reconnaissance de la personnalité basée sur les caractéristiques linguistiques. Ainsi les personnes qui utilisent des pronoms singuliers à la première personne seraient plus extraverties. Et ceux qui utilisent des parenthèses seraient plus introvertis. Les utilisateurs qui mettent des points d’exclamation dans leurs commentaires seraient émotionnellement moins stables. Ceux qui utilisent des mots de plus de six lettres seraient plus stables du point de vue émotionnel. Les auteurs ont donc comparé les traits de personnalité des utilisateurs des différents récits (graphiques que vous retrouverez ci-dessous, provenant de l’article). L’analyse des graphiques montre que, dans les chambres d’écho, les utilisateurs soutenant les récits à caractère scientifique et ceux qui soutiennent des récits conspirationnistes sont légèrement introvertis (a). Les deux chambres d’écho semblent donc avoir un premier trait identique. On retrouve une plus grande stabilité émotionnelle chez les utilisateurs soutenant les récits conspirationnistes (b). Dans les deux chambres d’écho, on a une tendance à être suspicieux et antagoniste envers les autres, en particulier chez les utilisateurs soutenant la science (c). Dans les deux cas étudiés, on retrouve de faibles niveaux de consciensiosité mais les utilisateurs des chambres d’écho soutenant des récits contradictoires ont une plus faible autodiscipline (d). Dans les deux chambres d’écho, on retrouve des niveaux positifs d’ouverture. L’analyse montre que les récits contradictoires regroupent des utilisateurs ayant des traits de personnalité très similaires. Les distributions des traits psychologiques dans les deux chambres sont identiques.


Suite à ces constatations, les auteurs ont souhaité identifier les modèles de personnalité prédominants à l’intérieur des chambres d’écho scientifique et conspirationniste. Après leurs analyses, ils ont constaté que, dans les deux chambres d’écho, la personnalité prédominante était la personne introvertie, émotionnellement stable, antagoniste aux autres (faible agrément), antisociale (faible consciensiosité) et ayant des intérêts non conventionnels (grande ouverture).

Enfin, les auteurs ont souhaité voir s’il existait un lien entre l’activité des utilisateurs sur internet et l’émergence de certains traits de personnalité. Ceci avait pour but de montrer un aperçu sur la relation qui existe entre le profil psychologique d’un utilisateur et son engagement au sein d’une communauté en ligne. Les auteurs ont remarqué de faibles liens entre l’activité des utilisateurs et leurs traits de personnalité grâce à l’analyse du nombre de commentaires faits et des traits de personnalité déduits. Ce qui indique qu’être présent dans une communauté en ligne a tendance à légèrement influencer notre profil psychologique. Selon leurs analyses, la présence de traits spécifiques conduit à l’implication dans les récits de soutien à l’intérieur des chambres d’écho virtuelles.  

Quand on y réfléchit ... 

Si nous nous interrogions sur la propre information que nous recevons sur les réseaux sociaux, via Twitter, via nos amis ..., sommes-nous tous membres de chambres d’écho ?
En effet, avec l'arrivée des médias sociaux, de Twitter, des réseaux sociaux, de facebook, de la démocratisation du net, les chambres d'écho se sont multipliées.Les procédures des réseaux sociaux agissent comme des "filtres" et font naître des "bulles de filtres". L'utilisateur à l'intérieur d'une telle bulle obtient des informations triées, sélectionnées à son insu en fonction de son activité sur les réseaux: 



Par exemple, en 2016, dans le contexte des élections présidentielles aux États-Unis et en Autriche, les médias ont créé des timelines Facebook "de gauche" et "de droite" qui nous montrent comment le regard sur certaines questions diffère selon que nous sommes abonnés à l'une ou à l'autre des deux pages Facebook. Néanmoins, il n’y a pas que Facebook, d'autres réseaux sociaux font, également, progresser, augmenter la dynamique  des  « filtres » en personnalisant la timeline. 


En effet, Instagram, avec son application de partage de photos, est passée d'une timeline exclusivement chronologique à une timeline de photos affichées. L'accessibilité aux informations
correspondant aux opinions des individus fait que ces derniers sont moins exposés à des opinions différentes des leurs. Dans les chambres d'échos, les opinions opposées à celles de la majorité sont peu diffusées et, lorsqu'elles le sont, elles sont, souvent   la cible d'attaques, de critiques par cette majorité  pour les discréditer.




Une fois qu’une information est reprise par de nombreux médias, celle-ci peut être déformée, sur-exagérée jusqu'à être plus ou moins modifiée. En effet, ce fut le cas lors de l'affaire du benzène dans les bouteilles de Perrier : bien qu’une infime partie des bouteilles étaient touchées, la marque a dû retirer toute sa production face à l’ampleur des attaques médiatique.

En augmentant l'exposition à une fausse rumeur, sa crédibilité a tendance à augmenter. À l'intérieur d'une chambre d'écho, il peut, ainsi, arriver qu'une majorité d'individus croient en une version dénaturée, déformée, d'une information véridique, ou en une information complètement fausse.

En conclusion, nous, utilisateurs des réseaux sociaux, nous avons tendance à communiquer, inconsciemment, avec des gens qui ont des centres d’intérêts similaires, communs aux nôtres. De plus, les réseaux sociaux sont souvent critiqués pour leur effet chambre d’écho.


                                                       Lutfiye Dogramaci, Pauline Maquestiau & Divine Ndahabonimana

Références 
Klein, O. (2018). Questions approfondies de psychologie sociale. Document non publié. Université de Mons, Mons.
Amichai-Hamburger, Y., & Vinitzky, G. (2010). Social network use and personality. Computers in Human Behavior
Ozer, D. J., & Benet-Martinez, V. (2006). Personality and the prediction of consequential outcomes. Annual Review of Psychology.
Bessi, A. (2016). Personality traits and echo chambers on facebook. Computers in Human Behavior, 65, 319-324. En ligne https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0747563216305817?via%3Dihub






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