Croyez-vous à tout ce qu'on vous dit ?
Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le mercredi
13 décembre 2006 aux environs de 20h 20 ? Probablement pas.
Cependant, si vous avez été spectateur du docu-fiction diffusé par la RTBF, à cette même date et heure, annonçant l’Indépendance de la Flandre et in fine la séparation de la Belgique, peut-être le souvenir de cette soirée reviendra à la surface...
- Extrait du docu-fiction du 13 décembre 2006, source : Google Image-
Il y a de cela presque 12 ans, la scène politique
belge était animée par des vigoureux débats autour de la question d’une
éventuelle Indépendance des Régions (Flamande, Wallonne et Bruxelles-Capitale)
les unes par rapport aux autres. Dans ce contexte, la RTBF décida alors de
diffuser un documentaire imaginant le fonctionnement d’une Belgique éclatée.
Cependant, entre le climat anxiogène créé par ces débats et la manière dont
l’information fut présentée, la diffusion du reportage « Bye Bye
Belgium » aura marqué de nombreux esprits.
D’abord, le reportage a débuté alors qu’une autre
émission était déjà en cours de diffusion. Nous pouvions lire sur les écrans
qu’il s’agissait d’une « Edition Spéciale ». Dans un second temps, au
plateau, on voyait apparaître François de Brigode, présentateur emblématique de
la chaîne. Dans un troisième temps, aux premières minutes de ce journal exceptionnel,
rien – a contrario de l’image
d’illustration ci-dessus – n’indiquait qu’il s’agissait en réalité d’une
fiction. Après 30 minutes d’antennes et des milliers d’appels à son
call-center, la RTBF fut bien obligée de calmer les esprits et confirmer qu’il
s’agissait purement et simplement d’un canular !
Pourquoi une information d’une telle importance,
uniquement relayée par la RTBF et elle seule, aura été aussi aisément acceptée
par le grand public ? Notre hypothèse est la suivante : la RTBF,
première chaîne télévisée belge, est réputée être une chaîne d’informations –
et non de divertissement – et avant tout, comme étant fiable. De là, nous avons tendance à prendre pour
vraie l’information que la chaîne nous présente. Le public aurait-il été plus
sceptique si l’information avait été diffusée sur une chaîne telle que
Club-RTL, qui est d’avantage axée sur le divertissement ? Nous supposons
que oui.
En ayant lu les précédents billets, vous nous
soupçonnez peut-être maintenant de diffuser des informations non seulement
fausses mais aussi sans fondement ? Soyez rassurés, ceci n’est pas le
style de la maison. Pour appuyer notre hypothèse, deux études.
La première étude (2013) a investigué l’impact de l’exposition
à de fausses informations sur le souvenir d’un événement stressant, vécu
personnellement et récemment. Les chercheurs avaient comme hypothèse de départ
que l’exposition individuelle ou en groupe, à des informations fausses
concernant une expérience vécue seul(e) ou avec des pairs, influerait sur le
souvenir de la dite expérience.
Le contexte de recherche était un centre de formation
militaire basé aux Etats-Unis. Au total, 861 recrues ont participé à
l’expérience. L’événement stressant était l’expérience vécue par le sujet dans
le cadre de son emprisonnement fictif dans un camp de guerre tenu par un ennemi
imaginaire.
Durant la période d’emprisonnement, chaque recrue a
d’abord été soumise à un interrogatoire d’une trentaine de minutes. Et là, tout a été pensé afin de rendre
l’expérience plus vraie que nature…
D’abord, la pièce était partiellement éclairée, de
sorte que l’étudiant puisse voir et entendre son bourreau. Qui était en réalité
un instructeur du centre, mais que la recrue ne connaissait pas. Pendant toute la durée de l’échange, le sujet
devait maintenir le regard avec son interrogateur. Aussi on lui demandait de
toujours avoir une taille inférieure à celui de l’instructeur. Il devait donc
se redresser et s’agenouiller en permanence. S’il ne répondait pas aux diverses
exigences de l’instructeur, il subissait des violences physiques. Cela pouvait
aussi bien aller d’une gifle, un coup de poing dans le ventre à se retrouvé
plaquer au mur ! Ou même plus … En effet, certaines informations ont été
classées "confidentielles" par les chercheurs!
(© 2017 John Holmes pour Human Rights Watch)
Une fois l’interrogatoire fini, la recrue était isolée
dans une pièce durant 4 heures. Ensuite, accompagnée des autres sujets, elle a
assisté à une séance d’endoctrinement d’une durée de 30 minutes. La séance était menée par un Commandant du
camp, vantant les mérites du système politique mis en place par sa nation,
ennemie aux Etats-Unis.
Par la suite, les sujets, répartis en différents
groupes, ont été soumis à des informations fausses concernant les événements
qu’ils venaient de vivre. Les informations ont, notamment, été présentées sous
format vidéo, dans laquelle la recrue pouvait y reconnaître une personne
familière ou une figure d’autorité. Ou encore sous format photo ou directement
dans le questionnaire qui visait à faire ressortir le souvenir que le sujet
avait gardé de sa période de captivité. Les réponses de chacun des sujets ont
été comparées à un groupe contrôle, c’est-à-dire un groupe qui n’a été exposé à
aucune fake news et qui sert alors de point de comparaison au groupe
expérimental, ayant lui été soumis à de fausses informations.
A l’issue de l’analyse des résultats, les auteurs ont
confirmé leur hypothèse de départ : l’exposition à des informations
fausses à la suite d’un événement stressant déforme le souvenir de l’événement.
Qui plus est, l’expérience a démontré que lorsque l’information fausse est
présentée sous un format vidéo, la présence d’un visage familier et/ou d’une
figure d’autorité renforce l’influence de l’information fausse sur la mémoire.
De fait, dans les vidéos, l’une des fausses
informations était que le Commandant, lors de sa séance de propagande, avait
exprimé un avis positif quant aux armes à feu. Ici un tableau récapitulatif du
taux de réponses positives à la question « Était-il pour le port
d’armes ? » :
Cependant, nous doutant bien que certains d’entre vous
ne seraient pas encore totalement convaincus de ce que l’on avance, nous avons
décidé de vous présenter une seconde étude qui, normalement, devrait plus faire
écho à votre expérience …
La seconde étude
(2013) s’est en fait intéressée au processus d’inférence. C’est-à-dire sur base
d’une information reçue, que pouvons-nous déduire ? Dans le cadre de l’étude,
l’information reçue était fausse. Les auteurs ont alors étudié quel
usage le sujet a de l’information fausse dans ses inférences, lorsque
l’information a été corrigée par une source crédible ou non.
La crédibilité se décline ici selon deux axes :
la fiabilité et l’expertise. La fiabilité est la volonté de la source à fournir
des informations précises et fiables. L’expertise est l’évaluation que nous
faisons quant à la capacité de la source à fournir des informations correctes
sur un sujet.
On peut résumer l’hypothèse des auteurs de la manière
suivante : pour inférer sur l’évolution de l’économie mondiale, les chercheurs
estiment que vous aurez d’avantage tendance à utiliser une information validée
par la revue « Le Monde » que le magazine people
« Closer ! ». Ou si vous préférez : vous aurez moins
tendance à utiliser l’information originale, fausse, dans vos inférences si
cette dernière a été corrigée par une source ayant un haut niveau de
crédibilité.
Au préalable, les chercheurs ont en fait réalisé une
étude auprès de 34 étudiants d’une université texane, afin d’établir quelles
sources étaient jugées comme crédibles ou non, dans un contexte particulier.
Ici, le contexte en question était celui de la politique. De cette première
étude, il est ressorti que sont crédibles : des rapports gouvernementaux,
un Procureur du Roi (« a district
attorney ») et un représentant de l’Etat. A l’inverse, dans un tel
contexte, ne sont pas jugés crédibles : un blogueur politique, un acteur
célèbre ou un groupe de partisans politique.
Dans un premier groupe, la correction de l’information
fausse venait de sources ayant un haut ou bas niveau de crédibilité général
(fiabilité et expertise), dans le deuxième groupe, seul le niveau d’expertise a
varié, dans le troisième, uniquement le niveau de fiabilité. Enfin, un
quatrième groupe de contrôle n’a quant à lui était exposé à aucune correction
de l’information fausse.
A la suite de l’histoire et la correction des
informations, les sujets ont été amenés à remplir un questionnaire de 20
questions. La première moitié comportait des questions de connaissances quant à
l’histoire lue. Pour la seconde, afin de répondre aux questions, le sujet devait
nécessairement réaliser des inférences à partir des informations reçues. La
formulation des questions étant de cet ordre-là :
« Y a-t-il une raison de croire que le candidat ne sera pas réélu »
Pour rappel, l’information fausse et par la suite corrigée, était que le politicien avait été vu acceptant un pot-de-vin. Dans un contexte politique et qui plus est d’élections, ceci peut diminuer les chances de réélection d’une personne.
Les résultats de l’expérience sont les suivants :
Ø
Lorsque la
source a un haut niveau de crédibilité générale, le sujet a moins tendance à
utiliser l’information fausse pour réaliser ses inférences.
Ø
Le niveau
d’expertise, seul, n’est pas suffisant que pour diminuer l’usage d’une
information fausse.
Ø
Le niveau de
fiabilité, seul, est suffisant que pour diminuer l’usage d’une information
fausse.
En résumé, fiabilité, à savoir la volonté de la
source à fournir des informations correctes, est un élément déterminant dans
l’appréciation des informations délivrées par une source.
EN BREF ...
Si nous reprenons notre exemple de
départ, celui de la RTBF et de son canular au sujet de la Belgique, on peut, à
juste titre, supposer que c’est à la fois l’usage d’un visage familier
(François de Brigode) et la fiabilité que l’on accorde à la chaîne qui ont pu
favoriser la croyance des téléspectateurs en la fake news.
Lutfiye Dogramaci, Pauline Maquestiau & Divine Ndahabonimana
Références
Lutfiye Dogramaci, Pauline Maquestiau & Divine Ndahabonimana
Références
Hazlett, G., Loftus, E., Morgan, C. A., Southwick, S., & Stefffian,G.
(2013). Misinformation can influence memory for recently experienced, highly
stressful events. International Journal
of Law and Psychiatry, 36 (1), 11-17. En ligne https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S016025271200088X
Geraci, L. & Guillory, J. (2013). Correcting erroneous inferences in
the memory : The role of source credibility. Journal of Applied Research in
Memory and Cognition, 201-209. En ligne https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2211368113000752?via%3Dihub
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